Au-delà de l'Année Internationale de l'Assainissement, Gérard Payen, Conseiller pour l'Eau du Secrétaire Général des Nations Unies, a accepté de répondre à nos questions.
Actualités News Environnement : « Pourquoi 2008 a-t-elle été déclarée Année Internationale de l'Assainissement ? »
Gérard Payen : « Même si un objectif mondial, dit du Millénaire, avait été adopté pour l'assainissement en 2002, l'assainissement n'avait pas d'existence propre et se trouvait toujours à la remorque de l'eau potable dans les travaux de la communauté internationale. L'année internationale suscitée par le Conseil pour l'Eau du Secrétaire Général des Nations Unies a fait de l'assainissement un enjeu à part entière avec de nombreuses réunions internationales traitant uniquement de ce sujet. C'est un grand progrès. La communauté internationale se préoccupe enfin des rejets domestiques et de la gestion des eaux usées. »
 |
Pour Gérard Payen, « l'assainissement, c'est la gestion des rejets des activités humaines essentiellement pour protéger chacun des contaminations éventuelles et maintenir les écosystèmes en état. »  |
Actualités News Environnement : « Comment évaluer en termes statistiques les enjeux économiques et sociaux liés aux politiques d'assainissement ? »
Gérard Payen : « L'assainissement, c'est la gestion des rejets des activités humaines essentiellement pour protéger chacun des contaminations éventuelles et maintenir les écosystèmes en état. Bien des aspects peuvent être mesurés localement mais il est quasi impossible de bâtir des indicateurs statistiques mondiaux sur tous les aspects de l'assainissement. Par exemple, comment dénombrer les personnes dont l'alimentation en eau potable est potentiellement contaminée par l'infiltration des eaux usées de leur voisins ? Ce serait pourtant bien utile.
De même, l'épuration des eaux usées progresse dans le monde mais la diversité géographique des pollutions et des niveaux de traitement rendent difficiles les additions au niveau mondial. Il y a cependant des progrès notables. On a calculé la rentabilité économique collective de l'investissement dans le secteur. Depuis cette année, l'importance respective des différents types de « toilettes » est même connue numériquement.
Ce qui est certain, c'est que l'absence ou la mauvaise qualité des toilettes favorise les contaminations, que l'absence de collecte des eaux sales favorise les épidémies. De même, la pollution sans précaution des cours d'eau par l'homme pénalise la vie de ceux qui vivent en aval aussi bien en termes sanitaires qu'économiques. Les enjeux sont énormes. »
Actualités News Environnement : « Cette année de l'assainissement a-t-elle permis de faire évoluer les mentalités ? »
Gérard Payen : « L'année 2008 a stimulé la réflexion des gouvernements et des institutions internationales. Les nombreuses réunions intergouvernementales et la publication de rapports exclusivement consacrés à l'assainissement ont sensibilisé de nombreux décideurs. L'effet masquant des enjeux liés à l'eau potable a disparu. Les défis de l'assainissement sont devenus visibles.
Alors que l'Objectif du Millénaire ne visait que l'assainissement de base, c'est-à-dire en pratique l'accès à des toilettes privatives et hygiéniques, les gouvernements ont pris la mesure des différentes composantes du champ de l'assainissement qui, au-delà des installations sanitaires comporte l'évacuation des eaux sales du domicile, la collecte et l'épuration des eaux usées afin de protéger les voisins et les populations vivant en aval, la réutilisation des eaux usées pour accroitre les ressources en eau propre ou pour valoriser les produits qu'elles transportent.
En 2008, est née l'idée de la Gestion Intégrée de l'Assainissement afin que les politiques publiques répondent simultanément à tous les besoins. A New-York dans les bureaux de l'ONU, dans la vision des décideurs publics en Afrique, en Asie, en Amérique du sud, en Europe, les politiques d'assainissement sont devenues un impératif collectif.
En outre, la communauté internationale a commencé à comprendre qu'il n'y avait pas de solution unique et que des technologies différentes pouvaient être utilisées pour bien répondre à la diversité des situations de terrain. »
Actualités News Environnement : « Cette prise de conscience s'est elle traduite par des actions concrètes ? »
Gérard Payen : « Si l'année de l'Assainissement a été féconde sur le plan des connaissances, de la mobilisation des esprits, elle a également stimulé la volonté d'agir. Les études statistiques ont révélé qu'1,2 milliard d'individus sur les 6,5 milliards d'habitants que compte la population mondiale ' soit plus d'1 sur 6 - n'ont accès à aucune installation sanitaire. Ils n'ont d'autre choix que la défécation en plein air. Par l'ampleur des problèmes qu'ils révèlent, les chiffres sont des moteurs de l'action. En juillet dernier, lors du sommet de l'Union Africaine, les gouvernements du continent africain ont décidé de consacrer chacun au moins 0,5% de leur PNB aux programmes d'assainissement dans leur pays.
De plus en plus, les programmes nationaux et internationaux du secteur dans les pays en développement comportent un volet assainissement presqu'égal en valeur à leur volet eau potable. »
Actualités News Environnement : « Comment financer les politiques publiques d'assainissement ? »
Gérard Payen : « Les payeurs ultimes des services collectifs d'eau potable et d'assainissement sont d'une part les utilisateurs et d'autre part les contribuables par le biais des subventions publiques. S'y ajoutent dans certains cas des aides extérieures. La répartition des coûts entre ces sources de financement varie suivant les pays et les politiques menées. Dans tous les cas, l'assainissement coûte cher. En France, son coût dépasse celui de l'eau potable. Cela nécessite la mise en place de mécanismes de solidarité pour faciliter les contributions de chacun à l'effort collectif.
En France, les agences de l'eau permettent de subventionner les nombreux investissements grâce aux redevances qu'elles prélèvent sur les factures d'eau. Au Sénégal, le secteur de l'assainissement est financé partiellement par les utilisateurs à travers les factures d'eau. Le complément est assuré par des subventions publiques nationales ou internationales. Dans les villes marocaines, le service public de l'assainissement est intégralement financé par les utilisateurs de l'eau. »
Actualités News Environnement : « Comment cette année mondiale de l'assainissement s'inscrit-elle dans les objectifs du millénaire pour le développement ? »
Gérard Payen : « Dans le cadre des Nations Unies, les gouvernements se sont fixé deux objectifs : diviser par deux d'ici 2015 la proportion de la population mondiale privée d'accès à l'eau - à un niveau minimal - dit accès « amélioré » (puits protégés des contaminations animales). 1,2 milliard de personnes en 1990, 0,9 milliard en 2006, objectif : 0,8 ; diviser par deux la proportion de la population mondiale sans accès à des toilettes privatives ou sans évacuation des eaux sales. 2,4 milliards de personnes en 1990, 2,5 milliards en 2006, objectif : 1,7 en 2015 !
La communauté mondiale devrait atteindre globalement l'objectif relatif à l'accès à l'eau potable (puits aménagés). Par contre, si le rythme actuel se poursuit, ce n'est qu'en 2038 que l'Afrique atteindra cet objectif pour ce qui la concerne. La situation de l'assainissement est encore plus mauvaise. Le monde est très en retard par rapport à l'objectif relatif aux toilettes privatives : pour atteindre l'objectif 2015, il faudrait plus que doubler les projets d'accès à l'assainissement de base. »
Actualités News Environnement : « Qu'attendez-vous du Forum Mondial de l'Eau qui doit se tenir à Istanbul, dans la semaine du 16 au 22 mars ? »
Gérard Payen : « L'année internationale de l'assainissement a marqué un tournant. Alors que l'assainissement était un non-sujet pour la communauté internationale, alors que les discussions étaient restreintes au mieux aux problèmes de l'hygiène et des installations sanitaires, aujourd'hui les gouvernements sont en face de la réalité : un homme sur 6 n'a pas d'autre choix que la défécation en plein air, la pollution des eaux usées menace voisinages, populations vivant en aval, ressources en eau et écosystèmes, etc.
Istanbul sera la première rencontre des gouvernements après cette année internationale de l'assainissement. Ils vont s'interroger sur la consolidation et le développement des acquis de 2008 : comment accélérer la marche de la planète vers l'Objectif du Millénaire ? Quels objectifs internationaux pour la gestion des eaux usées ? Quelle part pour les infrastructures d'assainissement dans les efforts de relance de l'économie mondiale ? »