En France, avec la mise en place du dossier médicale personnalisé (DMP), de nombreuses données génétiques relatives aux patients seront compilées et les suivront tout au long de leur vie.
Si l'aspect de plus grande efficacité au niveau du choix de tel ou tel traitement fait par les praticiens qui disposeront ainsi de données fiables sur l'état de santé de leurs patients ne semble pas faire de doute, il n'en reste pas moins que le regroupement de ce type de données sur les patients dans le cadre du dossier médicale personnalisé (DMP) soulève de nombreuses interrogations.
Dans cet esprit, et en prévision de la tenue, les 1er et 2 septembre prochain du Sommet mondial des comités d'éthique, nous avons souhaité avoir l'avis d'une personnalité éminente sur ce sujet, en la personne de Pierre Le Coz, vice président du Comité Consultatif National D'Ethique (CCNE), qui a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.
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« Les personnes sont protégées par la loi. Nul ne peut être tenu de livrer des informations relatives à sa santé, même s'il est porteur de maladies pour lesquelles il existe un traitement préventif et que la circulation intrafamiliale est bloquée par une discorde qui empêchera un apparenté d'avoir accès à ces données qui pourraient lui épargner la mort. » |
Pierre Melquiot, « Quel est le degré de confidentialité des données génétiques des patients ? »
Pierre Le Coz, « Les personnes sont protégées par la loi. Nul ne peut être tenu de livrer des informations relatives à sa santé, même s'il est porteur de maladies pour lesquelles il existe un traitement préventif et que la circulation intrafamiliale est bloquée par une discorde qui empêchera un apparenté d'avoir accès à ces données qui pourraient lui épargner la mort. C'est seulement dans le cadre d'une procédure en justice que des données génétiques peuvent être prélevées par un test ADN. Soit pour établir une culpabilité, soit pour innocenter un suspect.
PM, « N'existe t-il pas de contradiction entre la collecte de données médicales et le droit à la vie privée ? »
PLL, « C'est cela qui nous a conduit à nous montrer très réservés sur le projet DMP du moins s'il devenait obligatoire. Dans la version initiale du projet, au nom de la traçabilité des soins et d'une volonté de faire des économies, on a eu la tentation d'héberger toutes les données de santé d'une population sur Internet, en brandissant des menaces de sanction pour ceux qui refuseraient de communiquer ou qui voudraient masquer des données. Le DMP trahit la tentation de la transparence totale, un fantasme de maîtrise du parcours des individus avec un prisme médical imposé. »
PM, « Quelle est l'utilisation possible des données biologiques des patients ? »
PLL, « On cherche du coté des généticiens ou des pouvoirs publics d'où peuvent venir les dangers. Mais les membres à l'intérieur d'une société ne forment pas un bloc homogène. Il y a des conflits intrafamiliaux, etc. On peut imaginer que dans des couples, certains cherchent à savoir si leur conjoint à une maladie génétique et qu'ils prélèvent sur un mégot ou un ongle un fragment d'ADN et l'envoient à une firme qui identifiera la maladie suspectée. Pour l'instant ce sont surtout les tests de paternité qui connaissent un engouement mais on peut très bien imaginer que chacun veuille en savoir davantage (par exemple, dans le cas d'un divorce, qui est "coupable" d'avoir transmis à notre enfant la maladie génétique qu'il vient de déclarer?) Je vous invite à aller sur le site madrilène Labgenetics; vous y trouverez une centaine de maladies dépistables en remplissant un simple formulaire. Comment les laboratoires peuvent-ils être sûr que c'est bien l'expéditeur qui envoie un fragment de son ADN et pas celui d'un membre de la famille ? Je n'ai pas de réponse rassurante à cette question.
Les gens voient dans la génétique une forme scientifique d'astrologie ; la boule de cristal labellisée par la science en somme. Je crois qu'on voit le danger du coté des politiques mais en réalité c'est la société civile elle-même, « librement », qui peut s'aliéner et sombrer dans la folie du tout-génétique, à partir de croyances en la valeur prédictive du gène. Je vois aussi la possibilité d'utilisation à des fins de vengeance ou pour savoir ce qu'est l'autre biologiquement avant de le prendre pour époux ou épouse'Ce ne sont pas des scénarios de science fiction. C'est déjà la réalité. Il faut que la France tienne bon sur ce point en interdisant la commercialisation de ces tests. Cela il est vrai n'empêche pas de se tourner vers des sites étrangers (où la traduction en français est parfaite). »
PM, « Peut-il exister un accès des compagnies d'assurance aux dossiers médicaux des assurés ? »
PLL, « A ma connaissance, en cas de contentieux, oui. Par exemple si un homme n'a pas déclaré une pathologie à son assureur, ce dernier est en droit d'entamer une procédure pour éviter d'avoir à payer le remboursement de la maison, si le particulier n'est plus en mesure de travailler. Les avocats doivent bien connaître ces rapports de force. Ils pourraient nous renseigner. »
PM, « Peut-il exister un accès des employeurs aux données médicales concernant leurs
employés, via le médecin du travail par exemple ? »
PLL, « Non mais le problème avec les moyens de communication électronique c'est que « qui ne dit mot est potentiellement suspect de cacher quelque chose. Pourquoi un tel ne nous envoie t-il pas son dossier en fichier PDF ? Même si les organismes bancaires ou les entreprises n'ont pas le droit de demander ce type d'information, les candidats à l'embauche peuvent se sentir plus ou moins obligés de prouver qu'ils sont en bonne santé.
Le médecin du travail est dans une position délicate et du reste il est symptomatique que les concepteurs du DMP l'avaient évincé d'office du dispositif. Un médecin du travail qui respecte la déontologie, respecte la vie privée du malade, quelle que soient les pressions qu'il pourrait avoir à subir des responsables de l'entreprise. »
PM, « Comment être sûr que les données ainsi collectées ne puissent faire l'objet d'une utilisation commerciale, comme par exemple, la promotion de tel traitement sur une population cible, ou encore dans le domaine de la recherche médicale avec des études sur d'éventuelles interactions médicamenteuses dans le déclenchement de pathologies, ' ? »
PLL, « Cela pourrait être un argument plutôt favorable aux systèmes électroniques de collectes d'informations sanitaires ; la possibilité via un dispositif de protection de l'anonymat des personnes, d'établir des corrélations entre des indicateurs ou des facteurs pathogènes. Mais attention l'acteur commercial en France ne peut pas passer outre l'aval d'une instance sanitaire qui délivre des agréments. Les épidémiologistes estiment en fait qu'il faudrait un très grand nombre de données pour pouvoir établir des corrélations fiables; donc il faudrait une mobilisation du corps social dans son ensemble, un fort taux d'acceptabilité du DMP. On en est encore loin. »
PM, « Quelle est l'autorité qui doit définir les règles d'utilisation et qui doit s'assurer qu'il ne puisse y avoir de dérive sur l'utilisation de ces données médicales ? »
PLL, « La CNIL joue le rôle le plus essentiel. Cependant j'ai le sentiment que l'on fait peser un poids écrasant sur les épaules de cette institution. Tout le monde se tourne vers la CNIL. Il faudrait sans doute renforcer et aider la CNIL en organisant des débats et ne pas s'en remettre uniquement à cette instance. Les parlementaires ont de lourdes responsabilités en ce domaine. Ils mettent en place des commissions autour des nouvelles technologies (office parlementaire des choix scientifiques et technologiques); ces débats au sein de groupes à l'assemblée sont très importants pour éclairer le législateur. »
PM, « Dans le cas ou le patient puisse accéder aux données le concernant via Internet, quel système de protection peut permettre d'être certain qu'aucune personne malveillante ne pourrait aussi accéder à ces données ? »
PLL, « L'histoire de l'informatique atteste hélas que jamais aucun système de protection ne peut garantir contre le risque de subtilisation des données. Songeons aux anti-virus: même les meilleurs ne peuvent bloquer que 99% des virus. Il y aura toujours des moyens de confisquer des données, il est aussi possible tout simplement de voler un ordinateur et d'y lire les codes secrets que les utilisateurs stockent dans des fichiers de peur de les oublier... »
Cet interview de Pierre Le Coz, vice président du Comité Consultatif National D'Ethique (CCNE) intervient dans le cadre du Sommet mondial des comités d'éthique, qui aura lieu à Paris les 1er et 2 septembre prochains. Vous en trouverez le programme du Sommet mondial des comités d'éthique sur ce lien.